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Révolution geek : L’âge de la multitude de Henri Verdier et Nicolas Colin.

(Veuillez noter que cet article reflète ma compréhension de l’ouvrage de Verdier-Colin, mais je me permet des digressions, notamment quant au fait d’envisager une «révolution geek», idée qui n’est pas exprimée comme telle par les auteurs.)

La contribution de tous, de la multitude, de la foule des internautes, comme moteur de la nouvelle économie numérique est au centre de L’âge de la multitude, ouvrage de Verdier et Colin. Pour conclusion, l’ouvrage appelle à considérer l’idée que l’état devienne une plateforme de données ouvertes par et pour les citoyens et entreprises créatrices de valeur. Pour emprunter un vif raccourci, la question se pose ainsi : est-ce Google qui doit incarner le nouvel état ou l’état doit-il emprunter aux logiques de Google, Amazon, Facebook et Apple? La révolution geek découle du fait que nous avons désormais les capacités de réunir et traiter de grands volumes d’information (Big Data).

Modèles d’affaires et de développement social sont posés en terme de nouvelles dynamiques à construire entre applications et plateformes. L’organisation du travail devra-elle muter du salariat vers la «sur-traitance»? Doit-on envisager l’avenir comme passant par une mutation des acteurs actuels ou par une révolution geek dirigée par de nouveaux acteurs? Vous devinerez que les auteurs suggèrent qu’il faille plutôt considérer la seconde option.

Sur la question des systèmes propriétaires fermés, Verdier et Colin expliquent le succès de l’approche fermée de Apple par le fait que dans cette logique de contrôle, le constructeur ou plutôt le designer Apple, permet l’illusion d’une forte capacité de personnalisation de l’outil par les usagers. Que ce n’est qu’à cette condition que le succès de telles approches est possible. Ils comparent cette vision à la philosophie Amazon qui a ouvert sa plateforme au point de virtuellement permettre à une tierce partie de reconstruire Amazon. Cette approche d’Amazon lui a permis de réduire non-seulement ses frais, mais aussi ses marges bénéficiaires tout en créant une large communauté associée à ses produits : les sur-traitants, qui par leur masse créent la valeur de la plateforme. Amazon est ainsi entrée de plein fouet dans l’infonuagique, l’informatique distribuée, véritables buzzwords de 2012-2013.

La notion de cocréation de valeur entre acteurs de l’innovation et multitude d’utilisateurs est clé. Soulignons dans cette foulée, le tout récent dépôt du rapport de mission sur la fiscalité numérique Collin et Colin pour lequel le jeune ingénieur Nicolas Colin est cette fois associé à Pierre Collin pour produire l’une des recommandations les plus osées du nouveau siècle : taxer les entreprises numériques en fonction de la contribution de la foule à leur succès. L’approche est inspirée de celle de la TVA de Maurice Lauré (au Québec la TPS/TVQ) qui implique de faire participer les vendeurs de biens et services à la gestion de la taxe de vente, via la déduction des extrants sur les intrants. Je verse ce que je perçois moins ce que j’ai versé en taxes sur mes propres achats. La même logique semble se développer autour des modèles de taxes sur l’émission de carbone. Cette logique stimulerait la cocréation, l’ouverture des données, l’innovation ouverte et laisserait présager l’avènement de gouvernements 2.0, d’Opengouv.

L’ouvrage se penche abondamment sur les comportements à modifier dans les entreprises, les gouvernements et institutions d’enseignement pour ne pas rater le virage numérique dans lequel nos sociétés sont irrémédiablement engagées. Les structures doivent développer une sensibilité à l’égard de leur environnement et mesurer avec finesse leurs rapports sociaux, afin de constamment s’ajuster à des conjonctures qui bougent très rapidement. L’inertie, le déni de cette rapide dynamique, ne sont pas une option pour se maintenir en vie. Il importe désormais d’évoluer rapidement tout en s’appuyant sur des faits avérés et actualisés régulièrement. Pour cela, il faut se tourner tant vers ses équipes, que vers l’extérieur, la foule, la multitude. Il faut mettre en place des outils de suivis, se donner le temps de les analyser et d’en tirer des enseignements. Développer ce type de comportement, qui implique un maximum d’écoute et de réactivité est nouveau, fait appel à beaucoup d’humilité et de volonté. Les dirigeants d’entreprises et d’institutions qui aiment leur confort et leurs acquis et qui n’entendent pas changer leurs méthodes, risquent d’entraîner leur propre disparition, générant possiblement de graves conséquences pour certains secteurs d’activité, pour les emplois et pour leurs économies nationales.

Cette capacité de regard sur nos propres comportements doit à terme donner naissance à de nouveaux comportements d’ouverture sur l’extérieur qui auront pour but la mise en place de mécanismes de création de valeur tout aussi nouveaux, marqués par la fluidité de circulation des informations, des savoirs et des attentes. Les applications et les plateformes de données constituent les fondations de ces nouvelles économies de services, dites de l’information. La dynamique qui caractérise les interactions au sein du tandem pratique applications-plateformes est largement illustré par l’essai.

Dans un premier temps, l’ouvrage dresse le portrait de ce qui constitue une application dont l’adoption, la pénétration constituera la preuve d’un besoin adéquatement cerné. Au delà de cette apparente nécessité de départ, nous verrons aussi dans quelle mesure l’application n’est jamais un produit achevé. Telle la nouvelle entreprise, l’application est ouverte et en évolution itérative permanente. C’est cette réalité, tout autant que l’obsolescence programmée des appareils, qui explique le perpétuel sentiment de fuite en avant que nous éprouvons face à la mise à jour étourdissante des fonctions des applications et logiciels auxquelles nous devons de plus en plus apprendre à ne pas trop nous attacher. Nous apprenons que c’est de plus en plus la foule, engagée à son insu dans des tests de marchés en direct, qui influe sur les décisions stratégiques des développeurs d’applications. C’est cet apport de la multitude qui créé les nouvelles fortunes de ceux qui ont appris à en harnacher la puissance. On pense immédiatement aux plateformes évoquées dans notre paragraphe d’introduction… Google, Facebook. Amazon, Apple. C’est ici qu’apparaît par conséquent la notion de plateforme. Les plateformes s’appuient sur la multitude d’applications qui s’appuient à leur tour sur la multitude d’utilisateurs pour se rendre indispensables aux nouveaux écosystèmes informatiques et en tirer des retombées titanesques.

Or, quels sont les systèmes de gouvernance qui régissent ces environnements, ces dynamiques? Quelle différence y a-t-il entre innovation ouverte, données ouvertes, environnements propriétaires, APIs (interfaces de programmation appliquées)? Que doit-on penser d’initiatives qui s’appuient sur la multitude pour croître, mais qui ne retournent pas dans une proportion décente la valeur créé vers les infrastructures sociales qui permettent leur existence même. Régimes publiques de santé, d’éducation, infrastructures de télécommunication et respect des fréquences publiques?

C’est là où les thèses de Verdier et Colin se transforment en potentiels outils politiques de changement et ne s’en cachent pas : Taxer les plateformes sur l’importance de leur recours à la création de valeur par le foule, appeler à la transformation de l’état lui-même en plateforme de données ouvertes, au bénéfice d’applications destinées à l’amélioration des services à la population. Pour terminer, les auteurs sont clairs sur cet enjeu, la plateforme ultime, qui doit demeurer ouverte aux utilisateurs finaux (end-to-end), dont la «neutralité, son ouverture et son interopérabilité sont si importants», c’est Internet, un bien commun.

L’Âge de la Multitude est un ouvrage à relire, dès la dernière page tournée.

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4 commentaires au sujet de Révolution geek : L’âge de la multitude de Henri Verdier et Nicolas Colin.

  1. Frot 11 fév 2013 @ 19:54 #

    Cool

    • Jean-Robert Bisaillon 11 fév 2013 @ 21:02 #

      YES! SVP fait circuler!

  2. Jean-Robert Bisaillon 23 fév 2013 @ 01:16 #

    Complément de lecture… « Audition de @Cap_Digital dans le cadre de la mission Lescure » – le #viragenumerique de la #culture synthétisé http://bit.ly/120ETBw

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  1. Flux transmédia | La Fabrique de sens - 06 sept 2013

    [...] la révolution numérique” (dont mon ami Jean-Robert Bisaillon fait une très bonne synthèse ici), n’en attendent pas moins de leur expérience média parce [...]

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